Pyrénées-Atlantiques - le département Dossiers pédagogiques des Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques

Note sur les évènements de guerre dans l'arrondissement de Bayonne du 18 au 23 août 1944

Transcription abrégée d'une notre du sous-préfet de Bayonne

Note sur les événements du 18 au 23 août 1944 rédigée par le sous-préfet
Note sur les événements du 18 au 23 août 1944 rédigée par le sous-préfet

E dépôt Bayonne 1 W 15 (SDA 64 - Bayonne)

E Dépôt Bayonne 1W15
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques - Bayonne

[...]Lundi 21 août

7h Je suis réveillé par une canonnade sur Saint Jean. Renseignements pris, quelques torpilleurs alliés sont venus tâter les défenses côtières et ces dernières ont riposté. Les forts de Socoa sont donc toujours en place et tirent. Cependant les explosions continuent.

9h à 13 h [...] De longues cohortes traversent Bayonne en direction du Nord dans les équipages les plus invraisemblables, mais avec un effort pour montrer un peu de discipline et de tenue. [...]

15 h Départ pour St-Jean-de-Luz. Je distingue des fumées tout le long de la côte. Sans aucun doute les ouvrages sautent. Et tout au long de la route le triste cortège qui oblige à évoquer l’arrivée triomphante de juin 1941 (sic). Malgré ma cocarde, mon gendarme casqué (français cette fois), nous nous sentons l’objet de convoitises de cette troupe. Pas mal d’hommes paraissent avoir bu pour se soutenir.

15h30 Réunion à la mairie de St-Jean-de-Luz avec les Maires de Ciboure et d’Urrugne et le Commissaire DUNY. Mise au point du plan de maintien de l’ordre de St-Jean qui devra sans doute être appliqué demain à l’aube. Pendant la conférence, explosions de plus en plus violentes et rapprochées. Les forts de Socoa et du Bordeguin sautent. Ironie de cette guerre ! On a travaillé cinq ans d’arrache-pied à les construire. Ils ont tiré ce matin leur première et unique bordée de coups de canon, et se font sauter trois heures après. Un chalutier chargé de munitions saute également dans le port, envoyant des débris partout et soulevant pas mal d’émotions.

16h J’ai l’impression d’avoir croisé sur la route entre Urrugne et Hendaye les derniers Allemands. [...] En passant à hauteur du pont international, j’aperçois quelques uniformes allemands. Y aurait-il quelques sacrifiés laissés là pour faire croire aux Espagnols que la fuite n’est pas encore un fait accompli? [...] Les pillages des stocks allemands ont commencé depuis la veille avec la complicité des Allemands eux mêmes. [...] Je crois que beaucoup de Hendayais auront néanmoins leur provision de sardines et d’huile faite pour l’hiver. On voit aussi un grand nombre d’Espagnols débauchés par Todt qui fainéantent dans les rues.

17h En plein milieu de la réunion, une employée de la mairie arrive hors d’haleine et annonce : « le drapeau flotte au pont international. Des officiers de la résistance y sont ». Nous bondissons dans la voiture. A 50 mètres du pont, j’aperçois HIRIGOYEN, ancien Maire de Biarritz, disparu depuis le 6 juin, qui pousse de la main les 12 Espagnols déguisés en soldats allemands et qui gardaient le pont. Mes « héros sacrifiés » se volatilisent en un clin d’oeil. Je serre la main à HIRIGOYEN, joyeusement interpellé en basque de tous les balcons et nous descendons ensemble jusqu’au poste. [...]

Au poste, présentation et prise de contact avec les officiers français. Ils sont trois et un sous-officier. Le capitaine qui commande est un beau soldat au regard clair. Ils n’ont que quelques armes prêtées par les Espagnols et doivent se limiter à la prise de possession du poste. [...]

Quand nous nous séparons, plus de 500 personnes sont déjà rassemblées autour du poste. Tout Hendaye est accouru. Emotion réelle. Mon gendarme et les gendarmes d’Hendaye, qui viennent de se placer sous le commandement des officiers, sont en train de fraterniser, et s’initient ensemble au maniement des mitraillettes espagnoles. Un brigadier des Douanes un peu gâteux qui m’avait fait cinq minutes avant des serments de fidélité les renouvelle aux officiers en bégayant tant il est ému. [...]

19h Je trouve à mon bureau Gabriel LAFAYE, à qui j’ai refusé un passeport vendredi dernier. Il est vert de peur et me supplie de l’aider à passer en Espagne. Je refuse et ne puis que lui conseiller de se débrouiller. Il s’est assez débrouillé depuis quatre ans. [...] Je consens à le faire emmener par une des estafettes de la S.P. Erreur qui contribuera quelques jours après à provoquer mon arrestation.

19h15 Un officier d’artillerie allemand vient m’informer qu’il n’a pas assez de temps, ni d’hommes pour noyer toutes les munitions du dépôt qui se trouve sur la route de St-Pierre-d’Irube. Ils vont donc le faire sauter. C’est la destruction assurée de tout un quartier de Bayonne. Je convoque le Dr GARAT, directeur de la Défense passive. Nous offrons deux cents hommes à partir du lendemain 6 heures pour procéder à l’immersion dans l’Adour de ces munitions. C’est accepté. Nous respirons.

19h30 Nouvelle réunion avec mes policiers. On m’avise que beaucoup de soldats allemands ont déjà commencé à distribuer des stocks de vivres et que certaines de ces distributions tournent au pillage. J’obtiens du Standortkommandant de Bayonne que la garde allemande des dépôts de vivres soit doublée par une garde de police française qui sera ainsi en place au départ des Allemands. [...]

Mardi 22 août

11h Un coup de téléphone alarmé du bureau m’apprend que des incidents ont eu lieu à Bayonne. Des clous ont été semés sur les routes au passage des dernières Unités. Les arrière-gardes composées de la Feldgendarmerie et des Douaniers patrouillent dans la ville. Ils font fermer les fenêtres et tirent sur les passants. [...]

14h Pendant que je téléphone à nouveau pour demander l’envoi d’une voiture de la Police pour me descendre, tout est coupé. Des coups de feu continuent à claquer à intervalles réguliers. [...]

15H [...] Le gros Lieutenant allemand que j’ai connu assez débonnaire écume de rage. Il me fait un long discours dans lequel revient à plusieurs reprises le mot « schwein » (porc). J’écoute poliment et le prie ensuite de me fixer avec autant d’exactitude que possible sur l’heure de son départ définitif. Il refuse de me donner le renseignement. Mais je lui montre toutes ses voitures où le matériel est embarqué, et dans lesquelles le personnel commence déjà à se rassembler. [...]

20h Le pont St-Esprit étant très visible depuis le bureau, je place des guetteurs. Vers 11 heures, il semble que les douaniers qui se sont regroupés sur la rive sud commencent à passer le pont. Le feront-ils sauter après leur passage ? [...]

Mercredi 23 août

1h En prenant quelques notes sur les évènements de cette journée qui vient de finir, je pense que celle qui commence est ma dernière journée de Sous-Préfet de Bayonne en même temps que l’anniversaire de mon mariage. Puisse-t-elle se passer dans le calme ?

3h30 Je reçois la visite de l’Officier de Paix FEVRIER qui m’informe que les douaniers allemands sont toujours de l’autre côté du Pont St-Esprit où deux canons sont en batterie. Il en arrive. Il a également pris contact avec des F.F.I. d’Anglet. Il doit les revoir au matin. Je demande qu’on les prie de garder leur calme et d’attendre le départ définitif qui sera sans doute pour le matin.

6h30 Le brigadier de police m’informe que des F.F.I. ont pris possession de l’Hôtel de Police et que le Commissaire est en état d’arrestation. [...]

8h40 Un certain nombre de douaniers viennent jusqu’au pont et jettent ostensiblement leurs grenades dans l’Adour. Allègement pour monter plus rapidement la côte. C’est bon signe. Le Capitaine VERDIER revient à ce moment m’informer qu’il a vu l’Officier allemand. L’heure fixée pour le décrochage est 9 heures.

9h Les préparatifs de départ s’accentuent. Les douaniers qui patrouillaient sur la rive nord disparaissent. On entend des pétarades de motos et de voitures. Sur notre rive, des fenêtres commencent à s’ouvrir. Quelques drapeaux apparaissent. Un phono hurle Sidi-Brahim.

9h05 Le CT LORIOT arrive de Dax. Il m’apprend que la ville est aux mains des F.F.I. et qu’on se bat à Mont-de-Marsan. A Bayonne, à l’exception des quelques coups de fusil de la nuit à Anglet, toujours pas de F.F.I. à l’horizon.

9h30 Je viens de faire entrer dans mon cabinet le journaliste JOINAUD venu aux nouvelles lorsqu’on m’annonce M. DELZANGLES, ancien député, et que je savais être un des chefs de la résistance. Il est accompagné d’une délégation.

Je les fais entrer. Il me les présente. C’est le Comité Départemental de la Libération qui vient pour effectuer la passation des pouvoirs et m’annoncer que le Sous-Préfet nommé par le Gouvernement provisoire va venir prendre possession de ses fonctions. Mais il a été retardé et n’arrivera que dans une heure. J’invite le Comité à prendre place. Je les informe que je ne fais aucune difficulté pour céder la place, mais qu’auparavant je tiens à leur exposer la situation que je laisse le 23 août au matin. Je leur donne un aperçu détaillé de la question des destructions. Par notre politique des derniers jours, nous leur laissons les villes de Bayonne, Biarritz, Anglet, Boucau et St-Jean-de-Luz parfaitement intactes. [...]

10h30 Mon successeur M. LAMASSOURE se fait annoncer. Je prends un contact parfaitement courtois avec lui et lui cède mon siège. Je quitte mon bureau et je suis invité par le Comité à assister à midi au lever des couleurs au balcon de l’Hôtel de Ville.

La ville présente un bien curieux aspect. C’est un mélange de joyeuse kermesse, d’agitation désordonnée et d’émotion patriotique. Les gens s’interpellent dans les rues. Des galopins de tous âges brandissent des pétoires dénichées je ne sais où. Je vois arriver une camionnette sur laquelle une mitrailleuse en batterie est servie par trois hommes qui se donnent un aspect féroce mais sont plutôt comiques.[...]

12h Le moment attendu depuis quatre ans est arrivé. Une foule imposante se presse sur la place. Les deux Sous-Préfets, le rentrant et le sortant, les deux Maires de Bayonne, les membres du Comité Départemental de la Libération prennent place au balcon, décoré des drapeaux français, anglais, américain et soviétique. Le baryton du théâtre DENS, ancien officier et prisonnier libéré lance à tous les échos de la place une éclatante Marseillaise dont le refrain est repris par la foule. A mes côtés deux membres du Comité se consultent : « Est-ce qu’on crie « Vive la République ». Mais ils s’abstiennent. D’ailleurs on n’entend presque pas de cris pour ou contre qui que ce soit. Seulement quelques larmes et beaucoup de joie. Ce matin, on ne pense vraiment qu’à la France !

Partager sur